Échange sur l’illusion

Jean, Q : La spiritualité de l’Inde proclame que le monde autour de nous est une illusion, la Maya. Le monde existe -t-il vraiment ou pas ?
Denis, R : Je pense que l’on peut dire que le monde se déploie comme phénomène, mais qu’il n’a pas d’existence solide comme il nous arrive de le penser. Le monde est en perpétuel mouvement. C’est comme avec cet exemple de la rivière et de son flot. Sur la route qui me conduit à mon travail, tous les jours je longe telle rivière. Cependant, ce n’est jamais la même eau qui est là. Peut-on dire qu’il s’agit de la même rivière que celle de la veille ? Cet exemple nous pouvons le transposer à nous-mêmes. Si l’on prend notre visage, quel est le nôtre véritablement ? Celui que nous avions tout bébé, celui de notre enfance, de notre adolescence, celui d’homme ou de femme mûre…? La réponse la plus satisfaisante est de dire que c’est celui du moment présent. Pourtant, nous ne pouvons pas non plus fixer cet instant. Dès que nous le désignons, il est déjà passé.
Généralement, pour nous “l’existence” se réfère à la forme. Cependant, la forme en soi est illusoire. La forme est en mouvement. Elle se trans-forme à nouveau. En même temps, nous-mêmes, celui qui s’interroge sur cette question est inclus dans ce processus. Parler d’existence ou d’illusion revient à employer des concepts, des formes, du monde illusoire. Je pense que l’on ne peut pas affirmer que le monde est existant ou non-existant, sinon, nous adoptons une vue partiale. Par rapport à quoi pouvons-nous affirmer tel point de vue ou tel autre ? Affirmer l’un, n’est-ce pas aussi donner une réalité à son contraire ? De fait, il est préférable de dire que le monde est “ce qui est”. Ainsi, le Bouddha déclare : “Le vide est la forme, la forme est le vide, il n’est autre vide que la forme, il n’est d’autre forme que le vide.”
Jean, Q : Certains éveillés disent qu’il n’existe que : “Ce qui est”. Alors, si je suis à Paris, cela veut-il dire que Londres, Tokyo,……. et le reste du monde n’existent pas? Il n’existe que Paris et encore, que la rue de Paris que j’emprunte, et même, que ce que je vois uniquement ?
Denis, R : “Ce qui est” désigne l’absolu et l’absolu inclut le relatif. Il y a donc un nombre infini de points de vues de “ce qui est”. Ils sont tous valables, car tous s’expriment dans le même instant. Lorsque nous sommes dans telle rue de façon relative, “nous Sommes” aussi et surtout de façon absolue. Où Sommes-nous réellement ?
Jean, Q : Si le monde est une illusion, les personnes en font partie et donc n’existent pas.
Denis, R : Si le monde est une illusion, tout le monde, nous inclus, avons cette nature illusoire. Cette affirmation ne produit rien d’autre que de l’illusion. Finalement, nous ne pouvons réellement affirmer que “ce qui est”. Cela d’ailleurs s’affirme de lui-même dans l’actualisation. Tant que nous nous en remettons à notre seul langage composé, nous ne faisons que nous appuyer sur une forme. Forme à laquelle nous croyons donner une réalité.
Jean, Q : Suis-je seul au monde ?
Denis, R : Qui pose la question ? Quel est la nature de celui qui s’interroge ?

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Jean, R : “La spiritualité de l’Inde proclame que le monde autour de nous est une illusion, la Maya. Le monde existe -t-il vraiment ou pas ?” Sur cette question, nos points de vue s’accordent. Le monde phénoménal n’a pas d’existence propre. Tout ce qui apparaît, ce qui naît, se dissoudra, disparaîtra. Mais, dans l’instant, la Présence confère une réalité aux phénomènes. Un peu comme le rêveur donne réalité au rêve sur le moment. Le rêve n’ayant pas de nature propre, il n’est que manifestation du rêveur. Alors, le monde existe-t-il? Oui et non. C’est paradoxal. A cette question, le maître Zen répond à son disciple : “Entendez-vous l’oiseau qui chante ? – Oui , Maître. – Juste cela.”
Jean, R : « Lorsque nous sommes dans telle rue de façon relative, “nous Sommes” aussi (et surtout) de façon absolue. Où Sommes-nous réellement ? » J’ai plutôt l’impression que la rue est dans un grand espace , une vision panoramique. Où suis-je ? On ne peut le dire. Je suis là où je suis, c’est tout.
Jean, R : “Suis-je seul au monde ?” « Qui pose la question ? Quelle est la nature de celui qui s’interroge ? » Celui qui s’interroge est le moi. Ce moi est une pensée qui tout à coup surgit . Il n’a donc pas d’existence propre et du coup la question se résorbe elle-même. Ne reste plus alors que cette présence calme qui n’a pas de question, qui n’est pas affectée par ce qui surgit en elle.
Denis, R : “La spiritualité de l’Inde proclame…” J’irai un poil plus loin sur cette question en disant que c’est ni “oui et non”, ni “paradoxal”. “Oui et non. C’est paradoxal”. Cela résonne comme une impossibilité et laisse je trouve un arrière-goût d’insatisfaction. La question “le monde existe-t-il ?” renvoie finalement à celle de notre propre existence. Cependant, n’est-ce pas là qu’une problématique de l’esprit ? Si le monde n’existait pas, si tu n’existais pas, si je n’existais pas, ce questionnement et cet échange n’auraient pas lieu. Du point de vue de la nature, tout questionnement de l’esprit n’est qu’un jeu vide. Le jeu n’est qu’un jeu qui ne produit que du jeu et qui ne pourra trouver “La réponse” qu’en son origine, sa nature. Ainsi, libres de tout questionnement, nous sommes frappés d’évidence…
Denis, R : Où suis-je ? Quand suis-je ? Qui suis-je ? Je pense qu’il est impossible de nous situer à partir un questionnement relatif. En le faisant de la sorte, nous ne pouvons qu’obtenir des réponses relatives. Qui pose la question ? Ce n’est pas une question qui appelle une réponse. C’est une interrogation qui pareil à un tremplin nous précipite en notre nature, en la Présence… Ainsi comme tu le dis : “Ne reste plus alors que cette présence calme qui n’a pas de question, qui n’est pas affectée par ce qui surgit en elle.”

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Jean, R : Tu as raison, “Oui et non. C’est paradoxal”, est une formulation insuffisante. « Ainsi, libres de tout questionnement, nous sommes frappés d’évidence » C ‘est ce que tente le maître zen avec son disciple, le sortir d’un coup de son questionnement, et le placer instantanément face à l’évidence, cela qu’il est vraiment

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