La “boucle” du Bonheur
(Q) “On ne pratique pas la contemplation, on s’expose, on se laisse ensoleiller et rejoindre par elle.” ?
(R) Pour commencer, je vais reprendre la définition de “Voir”. Il n’y a pas besoin d’être éveillé pour “Voir”. Voir, c’est en quelque sorte vivre l’éveil avant l’éveil. Toutefois, c’est l’expérimenter sans en prendre toute la mesure. Tout d’abord, comprenez que “ça Voit”. Ne faites pas le Voir. Reconnaissez-le en vous, ou bien reconnaissez-vous en lui. “Voir” n’est pas une chose nouvelle. Ce n’est pas un talent particulier que l’on a ou que l’on n’a pas. “Voir” est une qualité intrinsèque de l’Être, de notre nature et fait déjà partie de nous.
“Voir” correspond au premier regard. Le premier regard est le regard du nouveau-né. On peut le définir comme le regard naturel ou spontané. À travers ce regard, toute chose est perçue simplement “telle qu’elle est”. Ce qui veut dire sans (libre d’) ajout, sans (libre d’) étiquetage ou superposition de commentaire mental. Indépendamment de notre développement, le premier regard reste premier. Il nous accompagne invariablement, quoi que nous fassions, quoi que nous pensions. Jamais nous le perdons. Il y a un “Voir” à l’origine de tous nos regards. Constamment, il opère derrière nos vues erronées comme la base, la source même qui les rend possibles. Ce n’est que depuis l’illusion que cette vue spontanée semble difficile et qu’elle peut nous manquer. Ce qui se produit, c’est que nous la “recouvrons” et l’oublions derrière tous nos jeux mentaux. Le problème ne vient pas de ce que nous ayons un avis sur ce qui est perçu, mais que nous retenons et donnons l’avantage à notre subjectivité.
Nos yeux voient d’eux-mêmes. Nous pouvons prendre appui sur cette qualité innée afin de nous relier à la spontanéité de la Nature, afin que nous sachions “Voir” tout comme nos yeux voient. Je parle de nos yeux, mais je pourrais citer tout autre sens. Un aveugle peut “Voir”, car ce qui importe vraiment ce ne sont pas les récepteurs, mais “celui-là” même qui voit, entend…
Ayant dit cela, nous pouvons aborder la contemplation et mieux comprendre la continuité qui existe avec le fait de Voir. Il est possible d’actualiser le “Voir” sans pour autant vivre la contemplation. Par contre, si nous sommes dans la contemplation “Voir” en fait automatiquement partie. Par exemple, si vous savez danser, vous avez forcément le sens du rythme. Inversement, d’avoir le sens du rythme ne fait pas de vous un danseur. Fondamentalement, il n’y a pas de différence entre Voir et Contempler. Ce qui donne sa particularité à la contemplation, c’est le “swing”, la “blue note” ou la “magie” pourrait-on dire qui intervient.
Il est intéressant de repérer cette grâce que nous effleurons naturellement au cours de notre vie. Probablement que nous ne l’identifions pas comme telle et que nous ne réalisons pas non plus comment elle opère. L’un de nos grands obstacles repose sur l’absence de gratuité établie dans nos vies. Notre quête du bonheur est tout le temps conditionnée et dépendante d’un “avoir”. Nous voulons “avoir” pour “être”. C’est ce qui nous conduit à une mécompréhension et à une expérimentation “relative” de l’absolu. De fait, cela s’avère être frustrant à travers le caractère éphémère de nos joies, ainsi que par le cercle vicieux de la demande ou du désir inassouvi qui se perpétue.
Dans notre vie quotidienne, à la base de toutes nos joies profondes, il y a une clarté, il y a la contemplation. Tout bonheur provient et est vécu depuis notre nature spacieuse et lumineuse. C’est comme si notre monde opaque d’illusion était superposé au monde vrai et libre. Le Royaume est là, sous nos pieds, mais nous ne le voyons pas. Ce que nous qualifions d’instants de bonheur, ici-bas, s’apparente en quelque sorte à des fenêtres qui s’ouvrent temporairement sur le Royaume. D’une autre façon, on pourrait dire que lorsque nous parvenons à vivre pleinement notre illusion, en fait, nous contactons la vérité. Nous en retirons un certain plaisir, une certaine satisfaction, mais nous ne réalisons pas le caractère infini et merveilleux de ce que nous rencontrons alors.
Je dirais que la contemplation est l’art de ne pas pratiquer, de ne pas s’impliquer dans un “faire” spécial ou subtil. Globalement, c’est ne pas succomber au matérialisme spirituel. Ici, il n’est plus question de recourir une fois de plus à une stratégie. Il n’est plus question de laisser l’esprit décider pour nous en lui restant subordonné. Déjà, le simple fait de savoir que l’esprit est nôtre, que nous ne sommes pas celui-ci, nous restitue, réhabilite le “je Suis”. Ainsi, par le biais de notre sagesse, nous actualisons cet état libre de référence, éveillé de certitude et “d’êtreté”. Nous pouvons aussi “tomber” dans le “je Suis” par le cœur. Il y a une façon de contacter l’être, de se retrouver en Soi à travers notre point de douceur. Il nous suffit d’évoquer le bonheur ou l’amour. Lorsque nous sommes heureux, où sommes-nous heureux ?… Si nous comprenons que dans l’illusion notre recherche du bonheur est finalement une sorte de boucle plus ou moins élaborée qui renvoie au Soi, nous pouvons faire que ce détour se réduise jusqu’à sa plus simple expression en la Vie : “l’union du Ciel et de la Terre.”
« Désir de vérité, vérité du désir ». Notre soif véritable est l’expression de l’absolu qui se cherche en nous. Sur le plan intérieur contacter le vivant c’est “goûter”, c’est se laisser gagner par le mystère de la vie. La contemplation n’est pas une spiritualité, mais une “mystique” (pénétrer l’hermétisme du mystère). Mais bon… tout cela n’est qu’une suite d’explications, n’est qu’un enchaînement de mots. La seule réponse qui compte vraiment n’est pas verbale. Elle provient de l’expérimentation.
“Notre réel désir est celui de la vérité qui se cherche.”Asseyez-vous tranquillement et laissez résonner cette formule dans votre cœur… N’investiguez pas davantage, laissez-vous trouver. Laissez la formule “creuser” pour vous. Permettez au vivant de vous porter, de se “trouver”. Dans le silence confiant, dans le repos naturel résonnent paix et amour. Dans la joie, nous sommes exaucés de recevoir et de porter cette qualité spacieuse et virginale, libre et généreuse. Ici, dans une “gestation” du silence, nous sommes pétris, nous sommes façonnés. Avant même que nous le réalisions, dans le secret de notre cœur, à l’ombre de ce sein fécond, la Source se donne et se reçoit comme elle l’a toujours fait. Doucement, dans une acoustique sacrée la Vie crée la vie. Mère, elle se manifeste infiniment en enfantant l’amour.
Voilà Jean, j’en reste là pour l’instant. J’ai un peu le sentiment d’avoir laissé ma plume s’emparer des commandes. J’espère que tu trouveras dans ces quelques lignes un éclairage. N’hésite pas à me demander des précisions si tu en ressens le besoin. Denis